Le PNR ne doit pas se contenter de décrire les problèmes, il doit apporter des solutions
Certains des projets se focalisent dans le domaine de la justice et de la législation. Monique Cossali, de l'Office fédéral de la justice, décrit les attentes de la pratique.
Du point de vue du législateur, quel est le principal problème posé par la numérisation ?
D’un point de vue purement technique, la progression de la numérisation ouvre de nombreuses possibilités d’application à l’administration. La question est de savoir sur quelle base juridique elles se fondent. Ce principe de légalité doit être respecté alors que l’on souhaite simultanément se montrer flexible, créatif et innovant. Cela crée un dilemme.
Même du côté du législateur, les instances concernées ne s’accordent pas sur tous les points lorsqu’il s’agit de déterminer avec quel degré de précision, ou d’approximation, les lois doivent être formulées afin qu’elles puissent aussi inclure de futures évolutions technologiques.
C’est la vision du législateur, selon vous quels sont les défis qui se posent en ce qui concerne la population ?
Sur ce plan, tout tourne autour de la confiance. Qui joue un rôle essentiel, comme nous l’avons constaté récemment lors de la votation sur la carte d’identité électronique. La population était méfiante et le projet de loi a été rejeté.
Un véritable fossé ne séparerait-il pas les attentes des autorités de celles de la population ?
Je ne dirais pas les choses aussi brutalement. Mais les autorités ont tiré une leçon de cette expérience. La révision de la loi sur la protection des données vient juste d’être adoptée. On vise à renforcer la confiance en protégeant mieux les données. Mais, sur ce point aussi, les positions divergent au sein de l’administration fédérale. Jusqu’où faut-il protéger les données et comment rester suffisamment flexible vis-à-vis des nouvelles évolutions technologiques ? Le Conseil fédéral devra trouver le bon équilibre en la matière.
Parlons maintenant de la numérisation de la législation et de la jurisprudence. L’intelligence artificielle va-t-elle prochainement remplacer les juristes ?
C’est plutôt de la science-fiction. Mais l’IA pourrait certainement apporter un allègement en termes de charge de travail. Par exemple, en ce qui concerne l’aide aux victimes, et en particulier la question de la compensation. Il existe de nombreux tableaux qui recensent quelles indemnités ont été perçues dans quels cas et dans quelles circonstances. Aujourd’hui, il est nécessaire d’éplucher un nombre incalculable de dossiers pour pouvoir déterminer le montant des réparations. Si les données étaient classées de manière correspondante, un algorithme pourrait se charger de cette tâche. Des machines pourraient même lire les déclarations d’impôts et déterminer le montant des prélèvements fiscaux.
Ne serait-ce pas délicat si les ordinateurs assumaient une responsabilité juridique ?
Ils n’assumeront naturellement aucune responsabilité. L’IA sera uniquement chargée de procéder à une première sélection et de formuler des recommandations. Il faut toujours que ce soient des spécialistes qui décident. La ou le juriste doit soupeser s’il existe une situation particulière dans certains cas. Et si c’est un logiciel qui émet, par exemple, un avis d’imposition, il faut que cela soit clairement mentionné, de manière à ce que la ou le contribuable puisse exiger qu’une vérification soit effectuée par un être humain.
Vous ne vous attendez donc pas à ce que la numérisation fasse faire un saut quantique à la justice et à la juriprudence ?
Non, elle nous déchargera des tâches de routine, c’est-à-dire qu’elle sera un outil qui nous aidera à travailler de manière plus rapide, en particulier pour les cas qui ne présentent pas de difficultés.
Est-ce que cela va entraîner de nouveaux problèmes ou une inégalité de traitement ? Je n’en ai aucune idée.
Qu’attendez-vous du PNR 77 ?
On parle toujours de manière très générale de l’IA et trop rarement d’applications spécifiques. Nous n’avons donc pas besoin de nouvelles déclarations d’ordre général sur l’intelligence artificielle et les risques qu’elle comporte.
Il y a quelques projets qui étudient des questions en lien avec le cadre juridique, la confiance dans la cybersécurité, ou le rôle de l’IA dans les décisions judiciaires. Pour que ces recherches nous soient utiles dans la pratique du droit, les résultats ne doivent pas se contenter de décrire les problèmes. Nous savons que l’intelligence artificielle peut aussi conduire à la discrimination, c’est bien connu. Ce que je veux savoir c’est comment l’éviter.
Projets sur ce thème dans le PNR 77